jeudi 5 décembre 2013

Novembre aux montagnes russes : A-Symétrie, A-Syberie, A-Symphonie

"La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent."

Relire ces mots de L'Homme Révolté de Camus.
Et voilà que le cerveau s'étoile en tous sens, voilà que les synapses s'affolent et que je glisse en plusieurs exemplaires le long des brins de laines tissés depuis des années.

[Un mot m'échappe, je n'ai plus que l'image... Vitrail ? Non, ce n'est pas le mot que je cherche, pourtant, le vitrail me ramène à la même image de cohérence et d'éclatement. Par instant, le mot me saute à la figure, mais il retombe trop vite pour que je puisse l'attraper. Le voilà enfin. Kaleidoscope.]

Relire ces mots, et voir soudain le kaléidoscope.
Le Maintenant de Guillevic. "Maintenant ton visage / Est marqué par les pierres". M.B. qui parle de la main tenant l'instant. De sa fulgurance, de l'infini. Il y a aussi une part de gateau au chocolat dans un appartement parisien, vers les Gobelins, partagé en deux, dans un temps arrêté. Les discussions sur Camus, superposées. les mails-aurore avec Mélie, alors qu'elle se levait et que j'allais me coucher. La cuisine dans la banlieue d'Athènes, chez des couchsurfeurs, où nous parlons de politique, de cinéma ("Je suis né d'une cigogne was my favorite movie. Gatlif. I was just thinking, myyyy, this guy is a genius, my master you know!"), de poésie, d'engagement, de Camus, de Céline. (Et du coup, l'image de mon frère et le "LFC - Le Voyage..." restés des mois sur MSN). Magritte et le "réflexe d'homme vivant" (et les nuages).

Je vous épargne le reste, c'est sans fin. Les mots comme ça, ceux qui ont tellement de force qu'on voit le blanc de la page se resserrer autour pour faire de la place à l'encre, ceux qui rendent ce blanc indispensable parce qu'il faut de l'espace pour résonner, raisonner, s'empreinter, ce sont des noeuds, des nerfs emmêlés sur lesquels on peut tirer et qui font tout venir, du couple de poissons rouges un peu tartes qu'on aurait appelé Schop et Nauer, aux Insurréctions singulières.

[Voilà, déjà beaucoup trop de mots alors que je n'arrive toujours pas "to the point. Reprenons.]

"La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent."
Relire ces mots de L'Homme Révolté de Camus.

Le présent, cher présent, est-il possible vraiment de lui faire l'offrande totale des jours que l'on passe, de ceux qui nous trépassent ? 

Novembre a commencé dans l'ambivalence entre la joie de retrouvailles belges et la menace de la maladie et de la mort. 

Maintenant que novembre termine, je ne sais pas où le mois est passé. Je le cherche autour, mais voilà que je vois devant le seuil de décembre, et derrière, un espèce de tunnel avec quelques éclaircies. 

Il y a eu cette perte, ce moment debout devant le cercueil, l'émotion de voir leurs nez rouges, leurs joues sillonnées. L'émotion de penser à ce qu'elles vont devoir vivre, elle, elle, et elle. L'empathie. Il y a quelque chose de très banal dans ce rituel de la mort. Un parcours balisé. Le moment où forcément, on se dit "si cela m'arrivait, s'il mourrait ? ou lui ?".L'interrogation nécessaire sur l'absurdité de savoir qu'on peut s'époumoner, on va tout droit vers la boite. Les réflexions clichées, les réflexions à deux balles sur la vie et la mort, tout ce qu'on se dit pour se rassurer et qui n'a pas de sens. Mais comme rien déjà n'a de sens, il faut bien accepter, lâcher prise,  et trouver quelque chose pour s'appuyer quand on a le vertige. Les pensées ridicules qui donnent envie de rire nerveusement, comme cette prière qui est celle chantée par Caroline dans Nos jours heureux. C'est insupportable, cette apparence de la banalité. Parce que derrière ce parcours balisé, il y a une vie unique. Pas celle dont j'étais le plus proche soyons honnêtes. Mais une vie unique pour ceux qui me sont proches. Et la perte de tous ceux qui sont là ne peut être banale. Ce qui les déchire, maintenant, ce qui leur manquera, ce ne sont pas toutes ces choses générales attribuables à tous. Non, au contraire, ce sont tous ces détails uniques. L'odeur d'un pull, celle des pizzas dans le four à bois, la manière de rire un peu rauque, la sensation de la main sur le bois, le bruit du marteau dans un établi, une certaine tonalité, un reflet dans les lunettes.  Il y a le tiraillement entre ce qui s'arrête et ce qui doit continuer. 

Et puis tous les trucs nuls, lui et son genou, la terreur d'un soir à la vue d'une bille sous la peau, l'abandon d'une collègue, l'ordi qui hiberne et le marchand de gaufre qui rentre à l'intérieur et nous prive de cette merveilleuse odeur. 

Au travail, les problèmes qui s'empilent, le harcèlement, l'alcoolisme juvénile, la falsification de carnet, les accusations infondées, les pétards qui explosent, les copies rendues trop tard, les visites trop fréquentes dans les bureaux, les vagues de copies interminables (environ 700), les cours qui ne passent pas toujours, les travaux non faits, les désintérêts, les provocations. Pourtant, il y a des moments de grâce. Vraiment. Et tout le dawa autour. 

Heureusement, il y a quelques remontées en flèche, les menues choses et les grandes, de l'atelier d'écriture aux rencontres, d'une soirée au pub à un concert de rap puissant, de discussions dans la voiture aux mots qui me poussent à l'écriture, par trois fois, d'une lettre de LAG à la lumière contenue dans un sac orange des mille et unes nuits. Du sourire de certains mots au regard d'un homme. Des gestes et des mots pour se rappeler qu'il y a des choses qui valent qu'on s'obstine encore un peu.

Au delà de tous ces oscilloscopes, décembre arrive sans que je n'ai rien vu venir. Aujourd'hui, le marchand de gaufre est sorti de nouveau.Il fallait bien ça pour entamer la fin de l'année infernale. Qu'on en finisse, et qu'on reparte.

Ce sera une plage, encore une fois tu sais. Le tout dernier jour et le tout premier. Ce sera une plage. 

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